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Je prenais sur le temps de mes repas et sur celui de mon sommeil pour lire les Misérables ou ingurgiter les Burgraves. Je me rappelle encore le nez corbin chevauché par un binocle à équilibre instable, et la calotte sommant le crâne pointu de l’adjoint au bibliothécaire, homme tranquille et qui savait fort bien indiquer aux lecteurs l’emplacement du Larousse. Malheureusement, il ne m’attendit pas, et mourut six mois avant mon arrivée. J’y éprouvais quelque difficulté dans le coin de province où je grandissais, d’autant plus que les nombreux travaux, mémoires, correspondances publiés depuis, de nature à satisfaire ma curiosité, demeuraient encore ensevelis dans des tiroirs secrets et fermés à triple tour. Ces derniers m’ont d’ailleurs valu une amère désillusion lorsque je les vis sur la scène du Théâtre-Français, une vingtaine d’années plus tard. Victor Hugo m’apparaissait comme un Titan, comme un dieu, et je me réjouissais à l’idée de contempler ses traits augustes, lorsque je m’installerais à Paris pour terminer mes études. Je cherchais à me renseigner sur ces illustres objets de mes élans juvéniles.

Ce fut un éblouissement. J’usais encore mes culottes sur les bancs du collège de Boulogne-sur-Mer, lorsque je découvris les romantiques. Il me récitait avec flamme des vers de Lamartine, plan cul gay de Hugo, de Musset, de Vigny ; il me prêtait les romans de Balzac et de Hugo. Un de mes camarades, féru d’admiration pour eux, attisait mon enthousiasme. Je complétais cette documentation par des séances à la bibliothèque municipale. À tous, encore une fois, merci. On courut à ses trousses jusqu’à la gare : le train s’ébranlait quand on arriva. Le savant savait l’art de se défiler, et oncques ne put-on lui mettre la main au collet. Un de mes camarades, féru d’admiration pour eux, attisait mon enthousiasme. Je me rappelle le bibliothécaire, chauve et souriant ; cet excellent homme accueillit vers cette époque avec la plus grande bienveillance et une entière confiance un savant allemand parmi les plus cotés, qui, subrepticement, découpa les plus belles miniatures d’un des manuscrits anciens les plus rares de la bibliothèque, et les glissa dans sa serviette. On ne s’aperçut du vol qu’après son départ. On télégraphia à Paris.

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